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Financement participatif : un marché en transition

Financement participatif : un marché en transition

L'article du Monde daté du 7 novembre titrait "En France, le financement participatif est à bout de souffle" rebondissant ainsi sur l'annonce de SmartAngels, plateforme leader en crowequity, qui a officialisé l’arrêt de son activité de crowdfunding. Annonce intervenue seulement 3 semaines après qu'Unilend, plateforme leader en crowlending, ait déclaré être en cessation de paiement.

L'article pose sans contre-analyse le constat suivant : le crowdfunding n'est pas à la hauteur de ce qui avait été annoncé par ces mêmes plateformes 4 ans auparavant, à un moment où celles-ci étaient encore leaders sur leur marché. L'un des fondateurs relevant qu'il n'y a "pas de marché", le second que "la mission était impossible dans l'environnement actuel".


Le baromètre de l'association Finance Participative réalisé par KPMG indiquait, au contraire, une croissance de 36% pour le 1er semestre 2018 par rapport à celui de 2017. Comment expliquer que dans un marché annoncé en forte croissance, deux plateformes leader sur leur segment respectif décident de cesser leur activité ou de pivoter ? Si, comme elles le constatent effectivement, les volumes sont en forte baisse sur leur segment, vers où la croissance s’est-elle déplacée puisque le marché continue quant à lui de croître fortement ?


MIPISE, solution de crowdfunding en marque blanche, opère actuellement plusieurs dizaines de plateformes et constate, grâce à sa position d’observateur privilégié du secteur, qu’il y a effectivement une accélération de la transformation de ce marché.


Des plateformes historiques mono-produit en quête de volumes

Revenons quelques instants sur les cas des plateformes Unilend et SmartAngels qui, bien qu’adressant des segments différents (l’un en crowdlending, l’autre en crowdequity), présentent des similitudes qu’il est intéressant de relever.


Toutes deux font partie de la génération des premières plateformes qui sont arrivées sur le marché en 2012 et 2013. Elles ont chacune été précurseurs sur leur segment, ont contribué à faire évoluer favorablement le cadre réglementaire, ont séduit des investisseurs et ont rapidement levé des fonds.


Elles ont fait le choix d’internaliser leur R&D et avaient de ce fait un point mort élevé. Elles se sont inscrites dans une stratégie mono-produit cherchant à capter un maximum de volumes visant une place de leader sur leur segment respectif. Elles se sont plutôt placées dans une logique de financiarisation de la relation avec leurs investisseurs, se rapprochant ainsi du modèle des banques qu’elles ont finalement eu tendance à concurrencer, et se sont plutôt éloignées des promesses initiales du crowdfunding.


Jusqu’en 2017, tout s’est plutôt bien déroulé et puis ça a été la chute brutale de leurs volumes.


Grâce à des financements initiaux abondants, toutes deux ont pu poursuivre l’aventure quelques mois mais des coûts fixes et d’acquisition client trop élevés ont eu raison de leur modèle économique. Leur business model n’a pu être transformé à temps… nous connaissons la suite.


Le modèle de plateforme mono-produit adressant un seul segment dans une stratégie d’acquisition de volumes semble avoir montré ses limites. Quel est donc le modèle performant ? Quelles sont les plateformes qui aujourd’hui captent la croissance du marché du crowdfunding ? Des premiers éléments de réponses ont été abordés dans notre article du 26/10/2018 sur le crowdlending.


Des plateformes "deuxième génération" communautaires et verticalisées

En observant la clientèle de MIPISE, depuis début 2018, nous constatons une très forte accélération du volume des plateformes dont le chiffre d’affaires a fortement augmenté (certaines annoncent une multiplication par 7 de leur CA comparé à 2017).


S’il est difficile de présenter un profil type de ces plateformes tant les modèles sont variés et spécifiques à chacun des segments adressés, nous avons toutefois pu observer des points communs dans les stratégies poursuivies et qui sont, de notre point de vue, les stratégies que devraient poursuivre toute nouvelle plateforme qui souhaite entrer aujourd’hui sur ce marché :


  • Toutes ces plateformes sont dans une stratégie multi-produits (dons, crowdlending, crowdequity, crowdsourcing) : il s’agit avant tout d’équiper une communauté en produits participatifs. L’approche de la plateforme est centrée sur sa communauté et non pas sur un produit. Nous parlons ici d’un coût d’acquisition client qui est bas : inutile d’aller acheter de la part de marché en distribuant des bonus. Les investisseurs ou prêteurs viennent vers ce type de plateforme parce qu’ils s’y reconnaissent et ont confiance (1ère promesse initiale du crowdfunding).
  • Elles ont généré suffisamment de confiance auprès de leur communauté pour lever des fonds auprès d’elles, ont développé leur propre crowdfunding constituant un noyau actif d’investisseurs / prêteurs actifs et fidèles.
  • Elles ont développé une culture de point mort bas en externalisant notamment l’IT et la R&D. Les points morts se situent en général autour de 3 à 5 M€ de collecte par an. Il n’est pas nécessaire d’aller chercher 100 M€ de volume pour atteindre un point mort sans cesse relever par des coûts d’acquisition clients en hausse. De ce point de vue, un partenariat avec une marque blanche du marché devient quasi-indispensable. En effet, c’est un moyen d’abaisser significativement le point mort tout en restant compétitif sur un marché dont le volume d’investissement à réaliser reste élevé.
  • Elles ne sont (surtout) pas dans une course au volume et vont rechercher des projets correspondant à leur spécialisation et sur lesquels elles ont su développer une réelle expertise pour gérer le risque (investisseur ou prêteur).
  • Elles prennent le temps (elles en ont les moyens) de découvrir les projets qu’elles connaissent parfaitement et ont la capacité d’accompagner réellement le porteur de projet dans sa campagne (2ème promesse initiale du crowdfunding).
  • Elles ont conscience que leur communauté a une capacité contributive limitée (les tailles de communauté varient entre 3000 et 15 000, guère plus – inutile de viser des communautés actives de 100 000 utilisateurs). Elles savent ajuster leurs coûts et le deal-flow des projets en conséquence.
  • Dotées d’une forte légitimité sur leur territoire (géographique, de marque, communautaire), elles accèdent à des partenariats de qualité avec la mise en place de schéma de co-investissement renforçant la capacité de la plateforme à financer des projets.
  • Leur taux de succès de collectes est proche de 100%.
  • Elles ont opté pour des stratégies de diversification autour du métier pur du crowdfunding développant ainsi des services additionnels avec des revenus complémentaires (exemples : la tenue de registre de titres pour les obligations, l’accompagnement au financement de haut de bilan pour l’equity, etc.).

Ce n’est donc pas un marché à "bout de souffle" mais un marché qui trouve son second souffle dans lequel des plateformes "deuxième génération", spécialisées et expertes sur leur segment viennent prendre progressivement le relai de la croissance des plateformes historiques mono-produits et peu verticalisées.


Un retour aux sources du crowdfunding pour un nouvel élan

Une bascule du marché se produit effectivement. Nous passons d’un marché peu segmenté tiré par seulement quelques dizaines d’acteurs, vers un marché qui s’atomise : des centaines de plateformes spécialisées verticales émergent vers lesquelles se tournent dorénavant les communautés et les porteurs de projets.


La conséquence est sans appel pour les plateformes historiques qui se doivent aujourd’hui soit de pivoter, soit d’abandonner d’une manière ou d’une autre autre leur course aux volumes, soit d’aller chercher des volumes conséquents chez des investisseurs institutionnels (mais au prix d’une consommation de fonds propres élevés).


Finalement n’assistons-nous pas simplement au retour des valeurs du crowdfunding - quelque peu délaissées - avec des plateformes proches de leur communauté, en mesure de leur apporter des solutions de financement adéquats et avec une gestion du risque adaptée ?


La dynamique de marché ne faiblit donc pas car la demande reste forte. Demande forte des investisseurs et des prêteurs qui continuent de rechercher des placements qui ont du sens. Demande forte des porteurs de projets, ceux qui recherchent des financements alternatifs ou complémentaires des financements bancaires et ceux qui veulent communiquer et marketer différemment un produit ou un service, acquérir rapidement une première base de clients/utilisateurs, créer et animer une communauté autour de valeurs partagées.


Il y a 5 ans nous avions imaginé que le crowdfunding serait une simple réplication du modèle américain KickStarter : bâtir des méga-plateformes, collectant des milliards et désintermédiant tout le système bancaire. Le scénario est tout autre : il s’est développé un crowdfunding qui a conduit au développement de plateformes autour de communautés à taille humaine dont le souci est de résoudre avant tout le problème de financement de porteurs de projets avec un risque a minima raisonné. Un crowdfunding qui se considère comme un complément au système bancaire et non pas comme une pure alternative. Un crowdfunding « à l’européenne » pour lequel la France a été précurseur en se dotant notamment d’une réglementation dédiée.


Constatons également qu’à l’échelle de l’Europe, le crowdfunding annonce des signes de bonne santé. Hors Royaume-Uni - qui est actuellement le plus gros marché au sein du pôle européen, les volumes d’investissement sur les plateformes de crowdfunding en Europe s’élèvent à 2063 M€ (1).


Par ailleurs, l’Europe élabore actuellement un cadre réglementaire visant à favoriser le développement de la finance participative à l’échelle de l’Union. Le 5 novembre dernier, les députés de la Commission des affaires économiques et monétaires européenne ont revu et adopté le projet de réglementation proposé par la Commission en mars 2018. Parmi les révisions du projet de loi, les députés ont voté pour une élévation du seuil des levées de fonds à 8M d’euros contre les 1M initialement proposés. La création d’un régime européen est la preuve d’une confiance en l’avenir du financement participatif. Une dynamique à poursuivre pour soutenir les plateformes de manière à bâtir un marché rentable et sécurisé, tant pour les entreprises que pour les investisseurs.




Les premières plateformes de crowdfunding françaises ont eu le mérite de créer le marché de la finance participative et de lancer la dynamique. Sachons être reconnaissants vis-à-vis de ces premiers entrants qui ont su prendre le risque. Sachons capitaliser sur ces premiers échecs et tourner la page de cette première génération. Sachons enfin poursuivre le développement de ce marché tellement prometteur pour aider au financement de notre économie réelle au côté des banques. Comme pour tout marché en développement, le financement participatif évolue et amorce sa transition trouvant ainsi son second souffle.



Michel Ivanovsky, Président et co-fondateur MIPISE




(1) Source : Troisième rapport sur la finance alternative - Université de Cambridge